Pages

vendredi 19 novembre 2010

Aff. André Bitton et GIA. Cour administrative d'appel de Paris, 4/12/2001.


N° 96PA00717                                                    RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
M. BITTON
                                                                         AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
M. JANNIN, Président
M. COIFFET, Rapporteur
M. HEU
Commissaire du Gouvernement --------------
Séance du 20 novembre 2001
Lecture du 4 décembre 2001
LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE PARIS(4ème chambre A)
VU, enregistrée au greffe de la cour, le 15 mars 1996, l'ordonnance n° 177399 en date du 21 février 1996 par laquelle le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Paris le jugement de la requête ci-après visée de M. BITTON ;
VU, enregistrée au greffe de la cour le 15 mars 1996, la requête présentée par M. André BITTON ; M. BITTON demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 9 décembre 1994 en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant à l'annulation, d'une part, de la décision de l'administrateur de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris ordonnant son transfert au centre hospitalier, d'autre part, de la décision d'admission prise à son encontre par le directeur du centre, de la décision d'admission à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, enfin de la décision par laquelle le centre hospitalier de Perray-Vaucluse aurait retardé son départ après l'abrogation de la mesure de placement d'office par un arrêté en date du 23 juin 1986 notifié le 24 juin 1986 ;
2°) d'annuler les décisions en cause ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Perray-Vaucluse à lui payer 10 000 F au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
M. BITTON soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les décisions administratives précitées ont par elles-mêmes une autonomie, chacune lui faisant grief ; que le jugement attaqué est dépourvu de motivation ; qu'en effet, le tribunal ne pouvait sans véritable motivation déclarer ses demandes irrecevables ou mal fondées alors que chacune d'elle porte atteinte à ses droits ; qu'en second lieu, s'agissant de l'hospitalisation en secteur libre, le tribunal a admis sans répondre à ses conclusions qu'il aurait été nécessairement consentant à son hospitalisation, surtout dans le même établissement où il avait été amené de force, de manière illégale ;
VU le jugement attaqué ;
VU, enregistré au greffe de la cour le 18 décembre 1996, le mémoire en défense présenté par le ministre de l'intérieur qui tend au rejet de la requête ; le ministre fait valoir qu'à la suite de l'abrogation le 23 juin 1986 de l'arrêté de placement d'office du 7 février 1986, l'intéressé a fait l'objet d'un placement volontaire ; que, quant à l'internement de 1990, il s'agit d'un placement volontaire ; qu'il y a lieu de confirmer l'analyse des premiers juges s'agissant du caractère irrecevable des demandes de M. BITTON tendant à l'annulation de son admission à l'infirmerie psychiatrique et de son transfert au centre hospitalier, ces mesures ne constituant pas des décisions mais des actes d'exécution ; qu'en ce qui concerne l'admission au centre hospitalier du 7 février 1986, le maintien au centre hospitalier au-delà du 23 juin 1986 et l'admission sous le régime du placement libre à compter du 25 juin 1986 puis du 6 février 1990, seul le centre hospitalier concerné est compétent pour présenter des observations en défense ;
VU, enregistré au greffe de la cour le 7 janvier 1997, le mémoire en réplique présenté par M. BITTON, qui conclut aux mêmes fins que la requête, et, en outre, à la condamnation de l'État à lui verser 3.000,00 F au titre des frais irrépétibles ; il soutient que le placement volontaire demeure un internement ; que les décisions du chef d'établissement, qui dispose d'une marge d'appréciation de l'ordre qu'il reçoit, sont susceptibles d'être attaquées devant le juge de l'excès de pouvoir ;
VU, enregistré au greffe de la cour le 14 février 1997, le mémoire en défense présenté pour le centre hospitaliser spécialisé de Perray-Vaucluse par la SCP VIER-BARTHÉLÉMY, avocat au Conseil d'Etat et à la cour de cassation ; le centre hospitalier spécialisé demande à la cour de : 1°) rejeter la requête ; 2°) condamner M. BITTON à lui verser la somme de 8.442,00 F sur le fondement de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; il fait valoir, en premier lieu, que la requête est, en l'état, irrecevable pour tardiveté ; qu'en second lieu, la "prétendue décision" d'admission que conteste M. BITTON n'est qu'une simple mesure d'exécution de l'arrêté du préfet de police en date du 7 février 1986 comme l'a jugé à plusieurs reprises le tribunal administratif ; qu'en effet, la décision de placement d'office est prise par le préfet en application de l'ancien article L.343 du code de la santé publique ; que le directeur de l'établissement du centre hospitalier est tenu de se conformer à cette prescription ; qu'en troisième lieu, s'agissant des suites données à l'abrogation du placement d'office, la motivation du tribunal est à l'abri de toute critique ; que le directeur du centre hospitalier s'est borné à exécuter l'arrêté du 23 juin 1986 qui lui a été notifié le 24 juin 1986 et n'a pris aucune décision ayant pour objet ou pour effet de maintenir d'office M. BITTON dans l'enceinte de l'établissement ; que si celui-ci n'a pu quitter l'hôpital que le 25 juin 1986, cette circonstance ne constitue pas une faute imputable à l'exposant dont la responsabilité n'est en tout état de cause pas recherchée qu'il n'est pas possible de mettre instantanément à exécution l'ordre de faire sortir une personne placée d'office mais qu'en outre une telle manière de procéder, à la supposer praticable, serait contraire aux intérêts de la personne en cause, comme au bon fonctionnement du service hospitalier ; qu'en quatrième lieu, s'agissant des décisions du 25 juin 1986 et du 6 février 1990, portant admission en 'service libre au CHS de Perray-Vaucluse, le requérant ne saurait invoquer l'existence d'un quelconque contrat dés lors qu'il est clairement établi par la jurisprudence que les personnes admises dans les services des hôpitaux et hospices publics sont placées dans une situation légale et réglementaire ; qu'il ressort tout d'abord du bulletin délivré le 25 juin 1986 par le médecin chef du service de santé mentale du VIIIème arrondissement de Paris que M. BITTON a été admis, à compter du 25 juin 1986 en service libre, ainsi qu'il le reconnaît lui-même, au centre hospitalier de Perray-Vaucluse ; qu'ensuite, s'agissant de la "prétendue" décision du 6 février 1990, M. BITTON s'est présenté lui-même pour demander son admission en service libre ; que sa requête est par suite sans objet ; qu'en tout état de cause,, il ne rapporte nullement la preuve qui lui incombe qu'il aurait été accueilli et maintenu dans le CHS contre son gré ; qu'au contraire, il reconnaît explicitement qu'il avait la possibilité de sortir dans le parc de l'établissement et en ville de sorte qu'il jouissait d'une totale liberté d'aller et de venir, de communiquer, de s'exprimer ; qu'aussi, les allégations fondées sur la prétendue violation des dispositions de l'article L.353-2 du code de la santé publique ou des articles 5-1, 8, 9 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui ne sont assorties d'aucune démonstration pertinente et probante, sont infondées que la seule circonstance que l'établissement n'a pas fait signer à M. BITTON une demande d'hospitalisation ne saurait caractériser la contrainte, ni même la laisser présumer ; qu'en particulier, il y a lieu de rappeler que le requérant disposait de procédures particulières instituées par l'article L.351 ancien du code de la santé publique qui permet à toute personne retenue dans un établissement accueillant des malades soignés pour troubles mentaux de se pourvoir devant le tribunal de grande instance ; qu'enfin, la discussion sur l'éventuelle responsabilité pénale du directeur du CHS est inopérante devant le juge administratif ;
VU, enregistré au greffe de la cour le 28 mars 1997, le mémoire en réplique présenté par M. BITTON, qui tend aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; M. BITTON fait valoir, en outre, en premier lieu, qu'ayant sollicité l'aide juridictionnelle dans les deux mois de la notification du jugement attaqué, le 21 décembre 1995, le bureau d'aide juridictionnelle lui a notifié la décision de rejet de sa demande ; que cet acte de notification a fait courir un nouveau délai de deux mois, expirant le 22 février 1996 ; que, comme le constate le CHS, c'est le 7 février qu'il a interjeté appel dans le délai de deux mois ; qu'en second lieu, M. BITTON soutient qu'en étant admis en hospitalisation libre, il aurait dû se trouver en situation contractuelle et non pas placé et traité comme se trouvant en situation légale et réglementaire ; qu'en effet,, la relation légale et réglementaire ne s'applique qu'aux personnes qui se trouvent prises en charge par l'Etat dans le cadre d'un placement ,d'office ou volontaire, non aux personnes qui, en vertu de leur prise en charge par la caisse d'assurance maladie, se font admettre à leur demande dans un établissement public ou privé ; que le maintien en hospitalisation libre ne peut qu'être assimilé à la clinique ouverte ; qu'en effet, on ne peut être légalement maintenu sous ce régime qu'à sa demande expresse qui caractérise un consentement éclairé à l'hospitalisation ; qu'il est possible de sortir à tout moment même lorsque l'on se trouve dans une structure effectivement fermée ; qu'en troisième lieu, en matière d'hospitalisation libre, il importe de rappeler que les soins ne peuvent être dispensés qu'avec le consentement du malade, principe rappelé dans l'article 7 du code de déontologie médicale ; que l'intéressé doit, à l'admission en "hospitalisation libre", être informé de façon suffisante, précise et loyale dans un langage simple et accessible du régime juridique de son admission, de ses droits et de ses devoirs ; qu'il n'y a eu aucune recherche de consentement du maintien en hospitalisation libre ; qu'il appartient au CHS de rapporter la preuve qu'il a rempli ses obligations d'information alors surtout qu'il est établi que durant son "hospitalisation libre", il n'a pas eu notification de l'arrêté de levée de placement d'office ; que l'obligation d'obtenir le consentement du patient au traitement pèse sur le médecin ; que les restrictions apportées par la loi du 2 février 1981 à l'article L.353-2 du CSP n'avaient rien d'une "coquetterie" ; que si le législateur a exclu les CHS du champ d'application des droits et libertés consacrés par ledit article aux personnes admises en psychiatrie en hospitalisation libre, c'est précisément parce qu'il avait entendu exclure des CHS la possibilité d'admettre des personnes sous un tel régime, conscient qu'il était que le personnel de ces services, habitué à admettre des patients aliénés, et par suite déments, était incapable de recueillir, dans ces conditions, la confiance des personnes ; que les personnels qui traitent dans le cadre de la contrainte ne se posent en effet même pas la question de recueillir la confiance de leurs patients ; qu'il n'a pas été informé ni n'a consenti de manière éclairée au changement de son statut comme le révèle bien l'absence d'une quelconque mention à cet effet sur le certificat de sortie du placement d'office ; que les médecins ne mentionnent précisément des observations qu'aux 7 février 1986, 18 février 1986, 23 mars 1986, 22 avril 1986 ; que l'on passe subitement aux 27 juin 1986, 18 juillet 1986, 25 août 1986 ; que si pendant deux mois, rien n'a été consigné, c'est qu'en vérité, il n'y a eu aucune recherche de consentement pour un tel maintien en hospitalisation libre ; que ce n'est d'ailleurs que le 12 janvier 1987 qu'une "carte de permission" a été établie ; que le fait d'avoir des permissions de sortie ponctuelles à partir de cette date ne sauraient être la preuve qu'il a été informé de son changement de régime et de ses droits nouveaux tant il est constant qu'un très grand nombre de personnes obtenaient à cette époque, non pas seulement des permissions de sortie de quelques heures mais d'une ou de plusieurs journées tout en étant demeurées sous placement d'office ; que le CHS n'établit même pas ni même n'invoque qu'à un seul moment il ait cherché à s'assurer de la validité de son consentement ; qu'en quatrième lieu, s'agissant du caractère distinct des mesures d'admission mais surtout de maintien sous PO prises par le chef d'établissement eu égard à la décision préfectorale, si le législateur, aux termes de l'article L.355 du code de la santé publique, a pris grand soin de ne pas viser les articles L.343 et L.344 dudit code, c'est parce qu'il a entendu ériger le chef d'établissement en autorité de contrôle de la légalité de l'admission ; qu'il doit s'assurer, ne serait-ce que sommairement, que les pièces qui lui sont remises à l'admission ne sont pas manifestement irrecevables ou mal formées conformément à l'article L.333 du code ; qu'en l'occurrence, le directeur du CHS ne pouvait admettre une personne en placement d'office au vu d'un arrêté de PO qui ne mentionnait pas la fréquence des actes de démence et le risque qui pouvait en résulter pour lui-même ou pour autrui voire pour l'ordre public ce, d'autant plus que l'ordre émanait du préfet de police, incompétent territorialement pour le département de l'Essonne en matière de placement des aliénés au titre de l'article L.343 ancien du code de la santé publique ; que la faute du chef d'établissement est d'autant plus grave qu'aux termes de l'article L.345 du code de la santé publique, il se devait d'adresser un rapport circonstancié au préfet dans le premier mois de chaque semestre d'hospitalisation, le préfet étant tenu de se prononcer au vu de ce rapport sur la nécessité du maintien ou d'ordonner la sortie ; que ce n'est que le 13 mars 1986 qu'une demande d'abrogation de placement fut adressée à l'autorité préfectorale ; que ce n'est que le 15 avril que le CHS a été destinataire de la réponse du préfet ;
VU, enregistré au greffe de la cour le 18 août 1997, le mémoire présenté pour M. BITTON par Me CAPRON, avocat au Conseil d'Etat et à la cour de cassation, qui tend aux mêmes fins et par les mêmes moyens que ses écritures précédentes ;
VU, enregistré au greffe de la cour le 22 août 1997, le mémoire en défense présenté pour le centre hospitalier spécialisé du Perray-Vaucluse ; le CHS fait valoir que la requête déposée par M. BITTON le 18 août 1997 est la réitération de celle déjà formée par l'intéressé contre le même jugement et enregistrée à la cour le 15 mars 1996 après l'avoir été semble-t-il au Conseil d'Etat le 7 février 1996 ; que cette requête est irrecevable ; qu'en toute hypothèse, elle est tardive ; que la circonstance que M. BITTON aurait obtenu l'aide juridictionnelle par décision n° 97/010776 du 16 juin 1997 ne saurait avoir pour effet de rendre recevable une nouvelle requête ; qu'il faudrait que le requérant établisse qu'il a introduit la demande d'aide juridictionnelle dans les deux mois de la notification du jugement du 9 décembre 1994 ; qu'en l'état, ce n'est ni allégué, ni moins encore prouvé ;
VU l'ordonnance de clôture de l'instruction en date du 1er septembre 1998 du président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris ;
VU, enregistrées au greffe de la cour le 21 septembre 1998, le mémoire complémentaire et en réplique présenté pour M. BITTON par Me CAPRON, qui persiste dans ses conclusions ; M. BITTON fait en outre valoir, s'agissant de la recevabilité de sa requête, qu'il avait introduit un recours devant le Conseil d'Etat portant le n° 177399 contre le jugement n° 9006928/4 du 9 décembre 1994 du tribunal administratif, notifié le 19 janvier 1995 ; qu'il avait introduit une demande d'aide juridictionnelle devant le Conseil d'Etat le 15 février 1995 ; que celui-ci, par une décision du 8 décembre 1995, notifiée le 19, a rejeté sa demande ; que sur recours exercé contre cette décision, le président de la section du contentieux a, par une ordonnance du le` février 1996, confirmé cette décision ; que M. BITTON a introduit un recours enregistré au greffe du Conseil d'Etat sous le n° 177399, lequel a finalement été transmis à la cour administrative d'appel et enregistré sous le n° 96PA00717 le 15 mars 1996 ; que sa requête est ainsi bien recevable ; que ce n'est qu'ensuite, après la décision d'admission du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Paris le désignant pour assister M. BITTON, que l'avocat a déposé un recours en appel qui n'avait en réalité pour objet que de formaliser la demande de M. BITTON ; que le recours du 18 août 1997 doit s'incorporer aux écritures produites par le requérant lui-même ;
VU l'ordonnance de réouverture de l'instruction en date du 12 octobre 1998 du président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris ;
VU, enregistrées au greffe de la cour le 20 octobre 1998, les nouvelles observations présentées pour le centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse ; ledit centre 1°) entend persister dans ses précédentes écritures ; 2°) conclut à ce qu'il plaise à la cour de porter à 10.854 F la somme que M. BITTON sera condamné à lui verser sur le fondement de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; le CHS fait valoir qu'il est surprenant de voir que le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris a pu en fait réformer les décisions de refus successives du bureau d'aide juridictionnelle près le Conseil d'Etat et du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat ;
VU, enregistré au greffe de la cour le 9 novembre 1998, le mémoire en intervention présenté pour le Groupe Information Asiles, représenté par son président, qui confirme la recevabilité de la requête de M. BITTON et soutient que le CHS n'apporte pas la preuve que M. BITTON a été informé à un quelconque moment du nouveau protocole thérapeutique qui serait suivi du fait du changement des modalités d'hospitalisation ; que le CHS n'allègue pas s'être efforcé d'obtenir le consentement de l'intéressé à l'hospitalisation libre ;
VU, enregistrées le 8 décembre 1998, les nouvelles observations présentées pour le centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse ;
VU l'ensemble des pièces jointes et produites au dossier ;
VU le code de la santé publique ;
VU le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 novembre 2001 - le rapport de M. COIFFET, premier conseiller,
- les observations de Me MAZETIER, avocat, pour le centre hospitalier de Perray-Vaucluse,
- et les conclusions de M. HEU, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que M. BITTON demande à la cour d'annuler le jugement en date du 9 décembre 1994 en tant que le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision par laquelle il a été admis à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, de la décision de ladite infirmerie le maintenant dans ses locaux jusqu'au 7 février 1986, de la décision de l'administrateur de cette infirmerie ordonnant son transfert au centre hospitalier spécialisé du Perray-Vaucluse, de la décision par laquelle le centre hospitalier de Perray-Vaucluse aurait retardé son départ après l'abrogation de la mesure de placement d'office par un arrêté en date du 23 juin 1986 notifié le 24 juin 1986 et des décisions des 25 juin 1986 et 6 février 1990 prononçant son hospitalisation en service libre au sein du centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse ;
Sur la fin de non recevoir opposée par le Centre Hospitalier de Perray-Vaucluse :
Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que le jugement litigieux du 9 décembre 1994 a été notifié à M. BITTON le 19 janvier 1995 ; que M. BITTON a présenté, le 15 février 1995, une demande devant le bureau d'aide juridictionnelle près le Conseil d'Etat aux fins d'obtenir l'aide juridictionnelle "dans la procédure contre le jugement du 9 décembre 1994" ; que cette demande a été rejetée par une décision du 8 décembre 1995, qui a été notifiée à l'intéressé le 21 décembre 1995 ; que M. BITTON a alors introduit le 7 février 1996 devant le Conseil d'Etat, qui l'a attribuée à la cour administrative d'appel, une requête dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 décembre 1994 ; que la production par l'intéressé le 18 août 1997 d'un mémoire complémentaire, improprement qualifié de "recours en appel", est restée sans influence sur la recevabilité de la requête, qui avait bien été introduite dans le délai d'appel ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse, ladite requête n'est entachée d'aucune forclusion ;
Sur l'intervention du Groupe Information Asiles :
Considérant que le "Groupe Information Asiles", association qui a pour objet de venir en aide aux victimes d'internements abusifs et de "faire respecter les droits des psychiatrisés" a intérêt à l'annulation des décisions attaquées ; que l'absence de production des statuts de cette association au dossier d'appel demeure sans incidence dès lors que lesdits statuts avaient été produits en première instance ; que la circonstance que la délibération de l'assemblée générale habilitant son président à soutenir toute action contentieuse de M. BITTON contre les mesures relatives à son internement soit antérieure au jugement attaqué n'affecte pas davantage la recevabilité de l'intervention ; qu'il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse à l'intervention de cette association ne peut qu'être écartée ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que les premiers juges en expliquant, d'une part, que l'administrateur de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris et le directeur du CHS de Perray-Vaucluse s'étaient limités à exécuter les ordres du préfet de police et du commissaire de police du quartier Europe dans le cadre de la procédure de placement d'office alors applicable et n'étaient ainsi à l'origine d'aucune décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, et en se référant, d'autre part, aux pièces versées au dossier pour rejeter au fond les demandes d'annulation des décisions susvisées d'hospitalisation en service libre, ont suffisamment motivé leur décision ; que le moyen tiré de l'absence de motivation du jugement attaqué doit dès lors être rejeté ;
Sur les décisions de l'administrateur de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police en date du 6 février 1986 :
Considérant qu'aux termes de l'article L.343 du code de la santé publique alors applicable : "A Paris, le préfet de police et, dans les autres départements, les préfets ordonneront d'office le placement, dans un établissement d'aliénés de toute personne interdite ou non interdite dont l'état d'aliénation compromettrait l'ordre public ou la sûreté des personnes ; les ordres des préfets seront motivés et devront énoncer les circonstances qui les auront rendus nécessaires (...)" ; qu'aux termes de l'article L.344 du même code dans sa rédaction alors applicable : "En cas de danger imminent attesté par le certificat d'un médecin ou par la notoriété publique, les commissaires de police à Paris, et les maires dans les autres communes, ordonneront à l'égard des personnes atteintes d'aliénation mentale, toutes les mesures provisoires nécessaires, à la charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au préfet qui statuera sans délai" ;
Considérant que M. BITTON a fait l'objet le 6 février1986 d'une décision de transfert à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police prise par le commissaire de police du quartier Europe à Paris sur le fondement de l'article L.344 précité du code de la santé publique ; que, le 7 février 1986, le préfet de police décidait le placement d'office de M. BITTON au centre hospitalier du Perray-Vaucluse sur le fondement des dispositions de l'article L.343 précité du code de la santé publique ; que les premiers juges ont annulé pour défaut de motivation ces deux décisions ; que M. BITTON fait valoir en appel que les autres actes administratifs pris avant et après l'édiction de ces décisions avaient par eux mêmes une autonomie, chacun de ces actes lui faisant grief contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges ;
Considérant qu'en admettant M. BITTON à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police le 6 février 1986 et en ordonnant son transfert au centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse le 8 février, l'administrateur de l'infirmerie psychiatrique s'est borné à exécuter les ordres constitués par les deux décisions sus analysées du commissaire de police du quartier Europe à Paris et du préfet de police ; que l'administrateur en question n'a pas pris par lui même de nouvelles décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que les mesures ainsi prises par l'administrateur de l'infirmerie psychiatrique ne perdent pas leur caractère d'acte ne faisant pas grief, alors même que, postérieurement à la date de leur intervention, la décision du commissaire de police et l'arrêté de placement d'office qui les ont précédées ont été annulés par le juge administratif ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté comme irrecevables les conclusions du requérant dirigées contre les prétendues décisions de l'administrateur de l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police ;
Sur les décisions du directeur du centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse :
Considérant que, lorsqu'il admet ou maintient dans son établissement un malade dont l'autorité compétente a ordonné le placement d'office ou le maintien en placement d'office, le directeur d'un établissement psychiatrique se borne à exécuter cet ordre et ne prend pas lui-même une nouvelle décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que le directeur d'établissement ne dispose ainsi, nonobstant l'absence de dispositions expresses en ce sens aux articles L.343 et L.344 du code de la santé publique, d'aucune marge d'appréciation dans la mise en œuvre des décisions prises par les commissaires de police à Paris, les maires ou les préfets et qui s'imposent à lui ; que M. BITTON n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevables ses demandes dirigées contre les mesures par lesquelles le directeur du centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse l'a admis dans son établissement à compter du 8 février 1986 ;
Sur la décision maintenant M. BITTON en placement d'office au CHS de Perray-Vaucluse :
Considérant que M. BITTON dénonce son maintien au sein de l'établissement jusqu'au 25 juin 1986 en dépit de l'intervention d'un arrêté d'abrogation de la décision du placement d'office le concernant en date du 23 juin 1986 ; qu'il ne ressort toutefois d'aucun des éléments du dossier qu'une quelconque décision aurait été prise au sein de l'établissement ayant pour objet de retarder jusqu'au 25 juin 1986 l'exécution de l'arrêté du 23 juin 1986 notifié à l'intéressé le 24 juin 1986 ; qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté comme irrecevables les conclusions de M. BITTON dirigées contre une prétendue "décision" de le maintenir en placement d'office au centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse ;
Sur les décisions des 25 juin 1986 et 6 février 1990 prononçant l'admission de M. BITTON en hospitalisation libre :
Considérant que l'hospitalisation en service libre dans un établissement public ou privé d'hospitalisation constitue une modalité thérapeutique exclusive de toute contrainte destinée aux malades atteints de troubles psychiques qui ne présentent pas de réactions dangereuses pour leur entourage ; que ce type d'hospitalisation est nécessairement subordonné à une demande du malade ou au moins à son consentement ; que la personne malade ne saurait en conséquence être admise et maintenue au sein de l'établissement d'hospitalisation contre son gré ;
En ce qui concerne la décision du 25 juin 1986 :
Considérant, comme il a été rappelé plus haut, que l'arrêté préfectoral du 7 février 1986 portant placement d'office de M. BITTON au centre hospitalier spécialisé du Perray-Vaucluse a été abrogé par arrêté du préfet de police en date du 23 juin 1986 ; que le centre hospitalier spécialisé dont s'agit rappelle dans ses écritures que ce dernier arrêté bien que notifié à l'intéressé le 24 juin 1986 n'a pas été mis à exécution instantanément, M. BITTON n'ayant pu quitter l'établissement que le 25 juin 1986 ; qu'il ressort des pièces versées au dossier que sur la base d'un bulletin d'admission en service libre du même jour, soit le 25 juin 1986, motivé par le médecin-chef dudit établissement par "l'état de santé de M. BITTON nécessitant son hospitalisation dans son service" et signé pour accord d'admission par le directeur du CHS, M. BITTON a été admis à compter de cette date en service libre de cet établissement ; qu'il n'est pas établi toutefois que l'intéressé ait présenté une demande ni que son consentement à l'hospitalisation libre ait été- recueilli d'une manière ou d'une autre ; qu'il n'est pas non plus établi qu'il aurait été informé du passage du régime de placement d'office à celui de l'hospitalisation libre, comme l'atteste le bulletin d'entrée du 7 février 1990 relative à la seconde hospitalisation de l'intéressé en service libre qui, rappelant l'hospitalisation précédente, se réfère à la période du 7 février 1986 au les mars 1988 sans distinguer selon les régimes juridiques applicables en cause ; que la décision du 25 juin 19866 est dès lors illégale ; qu'il s'ensuit que M. BITTON est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ladite décision ;
En ce qui concerne la décision du 6 février 1990 :
Considérant, en premier lieu, qu'aucune dispositions du code de la santé publique ne s'oppose, contrairement à ce que soutient M. BITTON, à l'existence de services d'hospitalisation libre au sein d'établissements accueillant des malades atteints de troubles mentaux et placés dans ces établissements sur le fondement des dispositions des articles L. 353 et suivants, L.343 et L.344 du code de la santé publique ;
Considérant, en deuxième lieu, que le moyen tiré de la prétendue violation des dispositions des articles L. 333 et suivants du code de la santé publique, dispositions applicables à la seule situation du placement volontaire, ne peut qu'être rejeté comme inopérant ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces versées au dossier, en particulier du bulletin d'entrée en date du 7 février 1990, que M. BITTON est arrivé par ses propres moyens et s'est présenté spontanément le 6 février 1990 au centre hospitalier de Perray-Vaucluse pour demander son admission en service libre ; qu'ainsi, il ne saurait sérieusement soutenir que cette hospitalisation serait intervenue contre son gré ; qu'il s'ensuit que M. BITTON n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 6 février 1990 ;
Sur les frais irrépétibles :
Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, reprises par l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par le centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse doivent dès lors être rejetées ;
Considérant, en revanche, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse à verser la somme de 3.000 F à M. BITTON au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens;
DÉCIDEArticle 1er : L'intervention du Groupe Information Asiles est admise.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 décembre 1994 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. BITTON dirigée contre la décision du 25 juin 1986 prononçant son admission en hospitalisation libre au centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse.
Article 3 : La décision du 25 juin 1986 prononçant l'admission de M. BITTON en hospitalisation libre au Centre Hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse est annulée.
Article 4 : Le centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse est condamné à verser à M. BITTON la somme de 3 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté ainsi que les conclusions du centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse tendant à l'application des dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. BITTON, au centre hospitalier spécialisé de Perray-Vaucluse, au Groupe Information Asiles et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de l'audience du 20 novembre 2001 où siégeaient :
Le président de la formation de jugement, M. JANNIN, président de chambre,
Le rapporteur, M. COIFFET, premier conseiller,
Les assesseurs, Mme de ROCCA, Mme DESIRE-FOURRE et M. EVEN, premiers conseillers,
PRONONCÉ À PARIS, EN AUDIENCE PUBLIQUE, LE 4 DÉCEMBRE 2001.Le président,.          Le rapporteur,           Le Greffier,
F. JANNIN               O. COIFFET              V. BOUZIAT