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vendredi 19 novembre 2010

Cour administrative d'appel de Paris, 23/3/2005, aff. André Bitton C/ CHS Perray-Vaucluse.

LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL                       
                             DE PARIS

No OIPA02667
                                                                                             REPUBLIQUE FRANÇAISE
M.André BITTON
                                                                                      AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Mme Cartal
Président
                                                                                      La Cour administrative d'appel de Paris
Mme Descours‑Gatin
Rapporteur                                                                                    (3 ème Chambre A)

Mme Folscheid
Commissaire du gouvernement

Audience du 9 mars 2005
Lecture du 23 mars 2005

Vu la requête, enregistrée le 9 août 2001, présentée pour M. André BITTON, par la SCP Mayet, Dervieux, Perrault; M. BITTON demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n' 975395 en date du 26 février 2001 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse à lui verser les sommes de 69 000 F et de 708 000 F, avec intérêts ;

2°) de condamner le centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse à lui payer la somme de 69 000 F avec intérêts à compter du 5 juin 1994, à titre de complément de salaire ainsi que la somme de 708 000 F avec intérêts à compter du 14 juin 1994 au titre du préjudice moral subi du fait d'une rémunération insuffisante pour les travaux effectués au titre de l'ergothérapie durant son séjour dans ce centre hospitalier du 25 juin 1986 au 1er mars 1988

3°) de condamner le centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article L. 761 ‑1 du code de justice administrative ;

M. BITTON soutient que le code du travail s'applique à l'ergothérapie, à moins qu'un texte spécifique de nature législative n'exclut l'application de ce code dans ce cas ; qu'il n'existe pas de loi dérogeant à l'application du droit commun pour l'ergothérapie ; que, si le Tribunal administratif de Versailles énonce que la rémunération due au titre de l'ergothérapie a comme fondement légal l'article 7 de la loi du 30 juillet 1898 sur laquelle repose l'arrêté du 4 février 1958, cet arrêté est pris non pas en application de la loi du 30 juillet 1898, mais de la loi du 30 juin 1838 ; que le visa de l'article 7 de cette loi de 1838 n'emporte pas exclusion de l'application du code du travail puisque cette loi ne concerne pas le travail que peut effectuer une


personne dans le cadre d'une hospitalisation, mais seulement les modalités d'entrée et de sortie des hospitalisations ; que les personnes hospitalisées, qui sont soumises à des horaires précis et réguliers et doivent exécuter des tâches déterminées dans le centre hospitalier, effectuent un véritable travail ; que leur rémunération est donc un salaire qui doit correspondre à un salaire minimum et équitable, conformément aux dispositions de l'article 4 de la charte sociale européenne ; que durant son hospitalisation il était chargé de faire la vaisselle et diverses autres tâches ménagères pénibles et qu'on ne peut soutenir que le travail dont il était chargé était strictement thérapeutique, d'autant qu'il était sous rémunéré

Vu le jugement attaqué

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 mai 2002, présenté par le centre hospitalier Perray Vaucluse à Epinay‑sur‑Orge (91360), représenté par son directeur en exercice, par Me Rozenberg, qui conclut à titre principal à ce que la cour se déclare incompétente au profit des juridictions judiciaires pour statuer sur les demandes de M. BITTON au titre de la période d'hospitalisation d'office du 7 février 1986 au 23 juin 1986 et rejette les conclusions de M. BITTON relatives au versement d'un salaire pour la période d'hospitalisation libre du 24 juin 1986 au Ier mars 1988 ; à titre subsidiaire de dire et juger que les demandes de M. BITTON portant sur des rappels de salaires sont atteintes par la prescription de l'article 2277 du code civil ; et, en tout état de cause à la condamnation de M. BITTON au versement d'une somme de 1 500 euros au centre hospitalier au titre de l'article L. 8‑1 du code des tribunaux administratifs ; le centre hospitalier soutient que les demandes de M. BITTON portant sur les travaux effectués pendant la période d'hospitalisation d'office sont de la compétence des juridictions judiciaires ; que le travail effectué dans le cadre de l'ergothérapie ne saurait constituer une relation soumise aux dispositions du code du travail et, en conséquence, entraîner le paiement d'un salaire ; qu'il a versé à M. BITTON un pécule au titre de l'ergothérapie dont le montant ‑est conforme à l'arrêté et à la circulaire du 4 février 1958, textes applicables ; qu'à supposer que l'argumentation de M. BITTON visant à solliciter des salaires soit fondée, ces demandes sont prescrites, l'article 2277 du code civil disposant que les actions en paiement des salaires se prescrivent par cinq ans ,

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 9 septembre 2002, présenté pour M. BITTON, qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ; M. BITTON soutient en outre que, dès le mois d'août 1990, il avait saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de son placement d'office en date du 7 février 1986 et que cet acte de procédure a interrompu la prescription ; qu'au surplus, le centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse étant un établissement public, la prescription qui lui a été opposée ne serait pas celle de l'article 2277 du code civil et ne pourrait en aucun cas être soulevée par l'avocat du centre hospitalier ;

Vu le mémoire en duplique, enregistré le 26 décembre 2002, présenté pour le centre hospitalier Perray Vaucluse, qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ; le centre hospitalier soutient en outre que la demande présentée par M. BITTON devant le Tribunal administratif de Paris au mois d'août 1990 ne tendait nullement à la réclamation de ce qu'il prétendrait être des salaires et qu'il n'a fait état d'une telle prétention pour la première fois que par sa requête du 8 août 1995 , que M. BITTON ne mentionne pas quelle serait la prescription applicable ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 17 avril 2003, présenté pour M. BITTON, qui conclut comme précédemment par les mêmes moyens ; M. BITTON soutient en outre que la demande qu'il a présentée au mois d'août 1990 tendant à l'annulation de la décision ordonnant son placement d'office est manifestement de celles qui interrompent la prescription au sens de l'article 2244 du code civil ;

En application de l'article R. 611‑7 du code de justice administrative, les parties avant été informées de ce que l'examen de la requête était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 février 2005, produit pour NI. BITTON en réponse au moyen d'ordre public qui lui a été communiqué ; M. BITTON sollicite de la cour qu'elle se déclare incompétente au profit du juge judiciaire pour l'examen des conséquences du maintien en service libre pour la période comprise entre le 25 juin 1986 et le 1" mars 1988, qui est constitutif d'une voie de fait ;

Vu le mémoire, enregistré le 3 mars 2005, produit pour le centre hospitalier PerrayVaucluse en réponse au moyen d'ordre public qui lui a été communiqué ; le centre hospitalier soutient que, contrairement à ce que soutient M. BITTON, son maintien en hospitalisation libre à compter du 25 juin 1986 n'est pas constitutif d'une voie de fait ; que, si l'arrêt de la cour en date du 4 décembre 2001 a annulé la décision de placement libre en date du 25 juin 1986, la cour n'en a pas pour autant déduit que le maintien en hospitalisation libre constituait une voie de fait ; que, selon la jurisprudence, les tribunaux judiciaires ne sont compétents que pour statuer sur les conséquences dommageables des irrégularités entachant la mesure de placement d'office



Vu les autres pièces du dossier

Vu le code de la santé publique

Vu l'arrêté ministériel du 4 février 1958 relatif à l'organisation du travail thérapeutique dans les hôpitaux psychiatriques ,

Vu le code de justice administrative

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ,

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 mars 2005

‑ le rapport de Mme Descours‑Gatin, rapporteur,

‑ les observations de Me Mir, pour M. BITTON,

‑ et les conclusions de Mme Folscheid, commissaire du gouvernement

Considérant que M. BITTON, qui demande la condamnation du centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse à lui payer la somme de 69 000 F à titre de complément de salaire ainsi que la somme de 708 000 F au titre du préjudice moral qu'il aurait subi du fait d'une rémunération insuffisante pour les travaux effectués au titre de l'ergothérapie durant son séjour dans ce centre hospitalier du 25 juin 1986 au 1er mars 1988, doit être regardé comme ne demandant l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Versailles qu'en tant que ce jugement a rejeté ses conclusions indemnitaires pour la période comprise entre le 25 juin 1986 et 1e ler mars 1988, au cours de laquelle il a été admis au centre hospitalier en service libre ;



Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'abrogation, par arrêté du préfet de police du 23 juin 1986, de l'arrêté en date du 7 février 1986 portant placement d'office au centre hospitalier spécialisé Perray‑Vaucluse de M. BITTON, ce dernier a alors été retenu, à compter du 25 juin 1986, au service libre de cet établissement sur le seul fondement d'un bulletin d'admission motivé par le médecin chef de l'établissement par l'état de santé de l'intéressé et signé par le directeur du centre

Considérant que, par un arrêt en date du 4 décembre 2001, la cour de céans a annulé la décision en date du 25 juin 1986 par laquelle M. BITTON a été admis en service libre au centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse à compter de cette date au motif qu'il n'était ni établi que l'intéressé ait présenté une demande ni que son consentement à l'hospitalisation libre ait été recueilli, ni davantage établi qu'il ait été informé du passage du régime de placement d'office à celui de l'hospitalisation libre ;

Considérant qu'une personne majeure présentant des signes de maladie mentale, ne peut être retenue contre son gré dans un établissement d'hospitalisation que pendant le temps strictement nécessaire à la mise en oeuvre des mesures d'internement d'office ou de placement volontaire prévues par le code de la santé publique ; que M. BITTON s'étant refusé à demander son placement volontaire, il appartenait à l'administration hospitalière, dans le cas où les médecins de l'hôpital estimaient que le maintien de ce patient en milieu psychiatrique s'imposait, dans son intérêt ou celui des tiers, de demander à l'autorité préfectorale d'user des pouvoirs qu'elle tient des dispositions du code de la santé publique, et, notamment, de son article L. 350 ; que, dès lors, en l'absence de tout titre l'autorisant légalement, le maintien contre son gré de M. BITTON au centre hospitalier spécialisé Perray‑Vaucluse jusqu'au 1er mars 1988 a constitué une voie de fait ;

Considérant que l'action en réparation de l'ensemble des dommages résultant de cette voie de fait relève de la compétence des tribunaux judiciaires ; qu'il en va ainsi tant du préjudice résultant de la privation de liberté du fait du maintien contre son gré de M. BITTON en service psychiatrique, que de l'indemnité correspondant aux allocations que l'intéressé aurait été en droit de percevoir si les activités d'ergothérapie avaient été légalement pratiquées ; que, dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement en date du 26 février 2001 du Tribunal administratif de Versailles en tant qu'il s'est reconnu compétent pour connaître de la demande de M. BITTON tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse à lui verser les sommes de 69 000 F et de 708 000 F et de rejeter sa demande de première instance comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761‑1 du code de Justice administrative :

Considérant qu'il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761‑1 du code de justice administrative ;




D É C I D E

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Versailles en date du 26 février 2001 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. BITTON tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse à lui verser les sommes de 69 000 F et de 708 000 F.

Article 2 : La demande présentée devant le Tribunal administratif de Versailles par M. BITTON est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 3 : Le sur‑plus des conclusions de la requête de M. BITTON et les conclusions du centre hospitalier Perray Vaucluse tendant à l'application de l'article L. 761‑1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. André BITTON et au centre hospitalier spécialisé Perray Vaucluse. Copie en sera adressée au ministre des solidarités, de la santé et de la famille.