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dimanche 2 octobre 2011

Les difficultés de l'accès au droit pour les patients sous contrainte psychiatrique. (Intervention à un colloque de l'Ecole des avocats du barreau de Versailles sous la direction de la cour d'appel de Versailles, le 30 septembre 2011)

 Paris, le 28 septembre 2011.     Voir aussi : http://psychiatrie.crpa.asso.fr/167

Titre : LES DIFFICULTES DE L’ACCES AU DROIT POUR LES PATIENTS SOUS CONTRAINTE PSYCHIATRIQUE.
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- Intervention d’André Bitton, pour le CRPA (prise en tant qu’association d’usagers en psychiatrie), au colloque de l’HEDAC (Haute école des avocats conseils de la Cour d’appel de Versailles), le vendredi 30 septembre 2011, sous la direction de la Cour d’appel de Versailles, sur « La réforme du contrôle des soins psychiatriques sans consentement ».

-          Voir texte de présentation du CRPA, en dernière page du présent article.
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1°) Un tableau d’ensemble désastreux :

   Soulignons d’emblée que l’exercice de quelconques voies de recours pour des personnes tenues sous contrainte psychiatrique, enfermées et placées sous l’effet de traitements neuroleptiques et d’ autres traitements psychiatriques puissants, est quasi impossible (Voir l’effet des traitements neuroleptiques !).

  Nous renvoyons également au défaut quasi total d’information par les hôpitaux et les services psychiatriques sur la possibilité de saisir un avocat sur liste d’avocats de permanence.  Mais également en parallèle au défaut évident de formation et d’information des avocats sur ce contentieux précis qui, il y a peu, était une terre inconnue.

  Voir également l’absence totale d’information des internés sur leur possibilité de désigner dans leur proximité une personne de confiance. L’absence sur place d’associations spécialisées dans la défense des droits fondamentaux des personnes.

  Les seules associations d’usagers autorisées actuellement dans les établissements psychiatriques, sont triées sur le volet par l’administration préfectorale et hospitalière au niveau des agréments et des admissions à siéger dans les établissements, pour leur servilité, leur absence de compétence et de pratique juridiques. De telles compétences étant immédiatement assimilées à une entreprise de subversion par les directions des hôpitaux et les préfectures ( actuellement les Agences Régionales de Santé, ARS), qui font les agréments des associations autorisées. Au surplus, la position (et le poids) de l’UNAFAM (Union nationale des familles de handicapés psychiques) verrouillent l’ensemble : cette organisation de parents de patients psychiques étant en même temps et demandeuse de soins contraints et de mesures d’enfermement, et présente comme association conseil d’usagers, tout en étant dans le pays un des principaux lobbies favorable à une contrainte aux soins psychiatrique généralisée … Les associations d’usagers à proprement parler, et donc de patients psychiques, sont, pour ce qui les concerne, tolérées sous condition d’être dans cette ligne d’ensemble, et de favoriser la compliance aux soins (compliance = acceptation) et donc l’absence de contestation des mesures de contrainte psychiatriques.

  Voir cet exemple qui, malheureusement, illustre fort bien notre propos, qu’est la FNAPSY (Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie) qui est agréée, et admise dans les établissements, précisément parce que cette fédération agit stratégiquement dans le sillage de l’UNAFAM, est consensuelle, et ne manie pas le droit. Cette fédération a même en son temps, sanctionné par exclusion en son sein, des éléments qui tentaient d’avoir une quelconque pratique juridique dans leur représentation des usagers. Voir cette affaire de la présidence de la CDHP (Commission Départementale des Hospitalisations Psychiatriques) du Val de Marne, en 2009-2010 par quelqu’un qui bougeait un peu trop sur le plan juridique ce que refusait expressément la présidente de cette fédération, et quelques autres affaires qui ont fini par provoquer un audit au long cours de l’IGAS actuellement en cours de conclusion. Notons sur notre chapitre que la FNAPSY, là où elle est présente dans les établissements psychiatriques - et ce d’ailleurs conjointement à l’UNAFAM (Union Nationale des Familles de handicapés psychiques) - n’informe pas les patients contraints de leurs droits et voies de recours effectifs. Les représentants de cette fédération de patients ne connaissent généralement pas ces droits et voies de recours. Ces questions étant pour eux inintéressantes, en regard du strapontin qui leur est confié dans les Conseils de surveillance des hôpitaux, en représentation collégiale avec des notables, ce qui, à soi seul, légitime leur silence des plus complets dans le domaine … En l’espèce ce domaine est celui de la violation coutumière dans les enceintes psychiatriques des droits des patients.

   Au plan diagnostic, les institutionnels de la psychiatrie, et les soignants inscrits dans les diverses écoles qui dominent le terrain, considèrent que l’appel au droit, comme l’usage du droit, sont autant de symptômes psychotiques paranoïaques. Ces symptômes se traitant classiquement par neuroleptiques … Personnellement, dans mes principales consultations des années 90, à chaque fois que j’ai fait valoir qu’en ce qui me concerne mes droits avaient été floués dans le cadre d’ un internement illégal et de pratiques également illégales, mais également que j’avais des instances en cours contre l’Etat et le CHS de secteur, il m’a été opposé par les soignants en face de moi, le classique exemple du cas clinique qu’avait traité Sigmund Freud, au titre de la paranoïa : le président Schreiber, qui avait été un des patients de S. Freud, et qui était un ancien président de juridiction atteint d’un délire de persécution …Il était donc impossible que je puisse valablement me plaindre de quelconques violations de droit, puisque j’étais un malade mental. Cette seule considération mettant par terre d’emblée, et par préalable absolu, toute contestation de ma part d’une quelconque violation de mes droits …  

On voit donc ainsi que l’accès au droit et aux voies de recours pour les patients contraints en psychiatrie est d’autant plus malaisé, voire rendu impraticable par les équipes de soins elles mêmes, que cet accès est considéré comme incompatible avec les « soins », et incompatible avec un fonctionnement usuel d’un service psychiatrique standard gérant des internements et des mesures de contrainte aux soins psychiatriques. L’opposition classique des équipes, mais aussi de leur administration, pouvant se résumer par la formule : « Qu’importent les droits, les soins sont la priorité ». On ne peut soigner en psychiatrie, selon cette vue dominante en la matière, qu’en violant les droits fondamentaux des patients, ou tout au moins en mettant de côté cette question, dans la mesure où la logique des soins, c'est-à-dire des traitements de force, doit prévaloir sur de quelconques considérations de droit.

Dans de pareilles conditions, les violations du droit sont, usuellement et historiquement dans le domaine psychiatrique, une sorte de règle, un « droit » coutumier séculaire. Quant à une clinique psychiatrique qui serait fondée sur le droit, c’est, en France, quelque chose de récent, et d’inhabituel. Il n’est d’ailleurs pas étonnant non plus que l’irruption du monde judiciaire et de sa nécessité dans la contrainte psychiatrique, depuis la décision historique du Conseil Constitutionnel du 26 novembre 2010 sur QPC, ait mis en état de panique pendant quelques mois le Gouvernement comme également la communauté des soignants, et des administrations concernées. Car c’est bel et bien d’un état de panique qu’il faut parler. Avec une forte mobilisation pour, d’une part contourner l’impact de cette décision du Conseil Constitutionnel par des dispositions législatives permettant d’amples contournements (voir loi du 5 juillet 2011 sur les soins psychiatriques sans consentement), puis par des consignes de directions d’établissements, et de CME (Commissions médicales d’établissements), aux équipes des hôpitaux, de sorte à neutraliser cette intrusion du monde judiciaire dans ce « droit » coutumier psychiatrique, lequel est en fait une zone de non droit habituelle, usuellement non sanctionnée, selon un consensus désormais révolu vu les progrès du droit et de la jurisprudence. Ces consignes de neutralisation venant des directions d’établissement et des CME, reposent bien évidemment sur la règle du maintien d’une absence ou d’ une quasi absence d’informations sur leurs droits aux patients tenus sous contrainte. Tout juste opère-t-on négligemment quelques notifications de mesures de contrainte, mais c’est en général pour laisser la personne internée ou contrainte aux soins dans l’ignorance de la portée pratique des indications mentionnées dans ces notifications, comme d’ailleurs sur les voies et moyens pour faire aboutir ces voies de recours éventuellement indiquées dans les notifications.

  Mais quoiqu’il en soit, essayez donc d’exercer de quelconques recours en étant abrutis et réduits à l’état d’une sorte de légume ambulant, sous la puissance des traitements psychiatriques administrés aux doses hospitalières …

2°) L’entrée en application de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge :

  Nous manquons de recul pour donner un point de vue utile sur la réforme du 5 juillet dernier entrée en application le 1er août 2011. Mais d’ores et déjà, nous pouvons dire que des directions de sites psychiatriques de la région parisienne ont donné consigne à leurs équipes d’ éviter d’informer les patients contraints de l’effectivité de leurs droits, et en priorité de tenir sous silence le fait que des permanences d’avocats se sont mises sur pieds en parallèle des audiences de quinzaine (ou de 6 mois) devant les Juges des libertés et de la détention. Si bien que certains avocats ont pu noter que les patients internés qui passaient aux audiences qu’ils avaient eu à connaître, n’avaient pas l’air au courant de leur possibilité d’accéder aux compétences d’un avocat …

  Ou bien encore, certaines personnes qui étaient en sorties d’essai, ont été basculées sous programmes de soins sans consentement sans recevoir d’information spécifique sur ce basculement. Ces mêmes personnes apprenant de façon fortuite, par une démarche administrative qu’elles sont actuellement sous programmes de soins et donc sous contrainte, sans en avoir été au préalable informées.

  Ou bien même certains patients contraints sont envoyés aux audiences obligatoires des  Juges des libertés et de la détention, sans qu’une information ne leur soit délivrée sur le rôle de ce juge. Si bien qu’ils angoissent littéralement protestant qu’ils n’ont rien fait, qu’ils sont innocents … etc. Les équipes psychiatriques profitant de leur non information, pour leur laisser à penser qu’en fait il s’agit d’une audience de type pénale, où ils sont incriminés …  
Enfin un établissement hautement sécurisé d’Ile de France, a, pour sa part, décidé, de refuser de mobiliser quelque équipe que ce soit pour l’accompagnement des patients aux audiences, incitant ses praticiens à rédiger les certificats médicaux subséquents de sorte qu’il y ait un prétexte médical à l’absence d’audience devant les Juges des libertés et de la détention. Cela alors même que ces certificats médicaux d’incapacité des patients à leur comparution, couvrent en fait des convenances de service, et sont, de facto, des certificats de complaisance … 

  Actuellement et fréquemment nous en sommes rendus à ce genre de tableau lequel ne manque pas d’être  scandaleux. Certes, la situation n’est pas identique d’un établissement à l’autre, mais ces aberrations sont néanmoins à relever, et à dénoncer, pour autant que cela puisse avoir une quelconque utilité.

3°) La loi du 27 juin 1990 sur l’hospitalisation psychiatrique. La nouveauté de l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique, et sa non application.

  La loi du 27 juin 1990 avait pour propos, et d’amorcer une légalisation de la contrainte aux soins ambulatoire (voir la légalisation des sorties d’essai qui n’étaient régies auparavant que par une circulaire ministérielle), et de donner un certain nombre de droits élémentaires aux patients contraints en correspondance avec un début d’essor de la jurisprudence sur le terrain de l’internement psychiatrique. Cette loi a organisé, pour la première fois en France, l’obligation d’information des patients contraints sur leur situation juridique et sur leurs droits. Nous parlons ici de l’article L.3211-3 du code de la santé publique (ancien article L. 326-3 du même code). Cet article affirme l’obligation d’informer les patients contraints sur leur situation juridique et sur leurs droits selon des modalités pouvant connaître des restrictions médicales, mais sans que le principe de cette information puisse être remis en cause. Ce même article dresse une liste des droits incompressibles des patients contraints, dont le droit de libre correspondance, et celui de prendre conseil d’un médecin ou d’un avocat de son choix. Toutefois cette énonciation des droits des patients contraints et de l’obligation d’information qui pèse d’ailleurs sur l’hôpital et donc sur les équipes, n’est assortie d’aucune sanction en cas de manquement. On a pu noter que ce simple énoncé manquait d’effectivité. Les hôpitaux psychiatriques ont en général superbement ignoré ces énoncés de l’article L 3211-3. Néanmoins il revient au Législateur de la loi du 27 juin 1990, d’avoir affirmé, pour la première fois, le principe de cette obligation d’information des patients psychiatriques sous contrainte en droit interne. Cette affirmation correspondait pour l’époque à une traduction en droit interne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.  

 Parmi les droits affirmés dans l’article L 3211-3 du CSP on trouve celui de correspondre librement et d’accéder aux conseils d’un médecin ou d’un avocat de son choix. La jurisprudence s’est développée ces dernières années en regard de l’accès des internés à la possibilité d’un avocat. Notez bien qu’il ne s’agit pas encore d’une problématique de l’accès en tant que tel à l’avocat, mais de celle de l’information sur l’accès à un avocat. Ce qui n’est pas la même chose.  

Voir à ce sujet un arrêt du Conseil d’Etat du 20 novembre 2009 (Préfecture de police C/ Groupe Information Asiles) sur la modification de la charte d’accueil de l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris de sorte qu’elle inclue le droit d’ accès à un avocat de son choix, dans le cadre des mesures provisoires. Soit dans les 48 h préalables à la prise d’un arrêté préfectoral d’hospitalisation d’office. Références :  C.E n°313598, mentionné aux tables du recueil Lebon.

Voir aussi la décision très innovante du Tribunal administratif de Melun du 21 février 2008, dans l’affaire Th. J. C/ CH Paul Guiraud Villejuif (aff. n° 0709094/2 et 0709672/2), reprise tout récemment par le Tribunal administratif de Pau le 1er juin dernier (affaire pendante en appel devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux), aff. G. M. C/ CH des Landes n°0901722-1. Ces deux jugements ont annulé une admission en HDT (Hospitalisation à la demande d’un tiers), au motif que l’hôpital ne rapportait pas la preuve d’avoir informé les deux requérants de leur droit d’accès à un avocat de leur choix préalablement à l’exécution de la mesure d’hospitalisation contrainte. L’innovation qu’amènent ces deux décisions de deux T.A différents – celle du T.A de Melun étant définitive car non frappée d’appel – est que depuis un arrêt du Conseil d’Etat dans l’affaire E.A. n°151068 (citée aux tables du Recueil Lebon) du 28 juillet 2000, le défaut d’information d’un patient interné sur ses droits était considéré comme une faute dans l’exécution de la mesure, relevant en tant que telle d’une sanction indemnitaire de la compétence du juge judiciaire, et non pas d’un manquement affectant la mesure d’illégalité de droit externe telle qu’une annulation de la mesure soit emportée devant ce juge de l’excès de pouvoir qu’est le juge administratif. L’arrêt E.A. du Conseil d’Etat du 28 juillet 2000 avait d’ailleurs mis un coup d’arrêt à des annulations d’arrêtés de placement d’office prises par des tribunaux administratifs pour défaut de notification de ces mesures. Voir sur ce point les affaires M. G. T.A de Dijon, 5 janvier 1993, req. n°88944 et 88953, et T.A de Paris, 5 janvier 1994, Aff. S. N. Req. n°8905749/4, 8905750/4 et 8905751/4. On observera que les affaires concernées par ces dernières jurisprudences s’étaient nouées dans les dernières années d’application de la loi du 30 juin 1838.

 Quant aux notifications des mesures accompagnées des voies de recours, les développements de la jurisprudence ont provoqué que, depuis la fin des années 90, les administrations hospitalières en lien avec les préfectures, notifient de plus en plus souvent les mesures d’hospitalisation d’office. Mais, effet pervers majeur, les patients contraints se sont trouvés face, par exemple, à des indications de voies de recours non hiérarchisées qui provoquent que certains comprennent qu’ils peuvent indifféremment demander leur mainlevée ou le constat du caractère abusif de leur internement, au Préfet, à la CDHP (Commission Départementale des Hospitalisations Psychiatriques) où trônent un psychiatre hospitalier ou un représentant de l’UNAFAM qui vont répondre aux patients contraints correspondants que tout est parfait et qu’ils doivent surtout accepter leurs soins, patienter et se taire. Cela quand il y a réponse. Car il est fréquent qu’il n’y ait pas de réponses des CDHP …Il s’agira encore de la saisine par un interné qui l’aura vu dans une notification des voies de recours non explicitée, du tribunal administratif, lequel n’est en rien compétent sur le bien ou le mal fondé des internements, comme d’ailleurs pour ordonner la sortie. Les requérants spontanés se retrouvant dés lors devant des ordonnances de débouté pour incompétence susceptibles de clore définitivement leurs possibilités de recours… Voir par exemple la théorie de la connaissance acquise !

  Il s’agit d’ailleurs bien ici de notre situation actuelle. C’est la situation qui prévaut depuis une dizaine d’années, et qui nécessite une clarification et l’adjonction en parallèle des services psychiatriques habilités à la contrainte, de réseaux d’avocats et de juristes, comme de permanences d’associations spécialisées, comme on en trouve dans les C.R.A. (Centres de Rétention Administratifs) à l’endroit des migrants irréguliers.

  Tant que de telles solutions ne seront pas approchées, étudiées et mises en pratique, on ne sortira pas le milieu psychiatrique du fait qu’il est, en soi, un zone de non droit. Avec la pleine fabrication-conception-collusion, la pleine pérennisation de cet état de fait, par les autorités étatiques, les psychiatres les plus réactionnaires, les laboratoires, les firmes pharmaceutiques intéressées au fait que la France psychiatrique soit une terre en coupe réglée sous le coup d’une légalisation de la contrainte aux soins qu’ils n’ont eu de cesse de promouvoir, moyennant des lobbies tels que l’UNAFAM (suivie en cela par la FNAPSY en 2009-2010), ou la Mission Nationale d’appui en santé mentale qui regroupe au niveau du ministère de la santé, les psychiatres les plus technocrates du pays, eux qui sont également les plus opposés qu’on trouve à de quelconques droits fondamentaux des patients contraints mis en pratique. Et quelques autres lobbies par exemple politique. Voir le discours scandaleusement sécuritaire du président de la république, le 2 décembre 2008, à l’hôpital psychiatrique Erasme d’Antony.

4°) La loi du 30 juin 1838 en vigueur jusqu’au 27 juin 1990 et bien au-delà …

  Précisons d’emblée que l’ancienne loi du 30 juin 1838 ne prévoyait aucune obligation d’information quelle qu’elle soit aux internés. Il s’agissait d’une loi de police et d’assistance aux aliénés, qu’ils soient dangereux ou en état d’aliénation tel qu’aucune capacité ne leur était consentie. Cette absence totale d’information sur leurs droits pour les patients qui ont relevé de la vieille loi du 30 juin 1838 a été caractérisé par la jurisprudence interne tardivement, essentiellement à partir de l’essor du contentieux de l’internement psychiatrique dans les années 80 et 90, sous la houlette du Groupe Information Asiles animé à l’époque, bénévolement, par un chercheur au CNRS, Philippe Bernardet (décédé en 2007), à qui l’ on doit le développement en France de ce contentieux ainsi d’ailleurs, lointainement mais réellement, le fait que nous nous trouvions ensemble pour ce colloque aujourd’hui.

  Ce n’est d’ailleurs que le 21 février 1990, par l’arrêt Van der Leer contre Pays Bas, que la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’Homme) a sanctionné le défaut d’information des personnes internées en psychiatrie sur leur situation juridique et sur leurs droits, caractérisé en l’espèce comme une violation de l’article 5-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
(Article 5-2 de la CESDH : Toute personne arrêtée  doit être informée, dans le plus court délai, et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle).
La CEDH a considéré que cet article de la Convention, pénaliste plutôt que civiliste notons le, trouvait son application en matière d’internement psychiatrique à partir de cette affaire Van der Leer tranchée en 1990. Cette jurisprudence européenne trouvait un début d’application en droit français, par certains aspects de la réforme du 27 juin 1990 de la loi du 30 juin 1838.

  L’information sur ses droits à une personne privée de liberté n’ayant cours que s’il y a une notification de la mesure de contrainte à l’intéressé, on observera que l’obligation de notification des mesures défavorables aux administrés et constituant des mesures de police (ce qui est le cas d’un internement psychiatrique), a été codifiée en France, par l’article 8 de la loi du 17 juillet 1978, dans une loi portant amélioration des relations entre l’administration et les administrés. La loi du 17 juillet 1978, par ailleurs, codifie l’accès aux documents administratifs, et c’est à partir d’elle que la C.A.D.A. (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) a été créée. Cette loi a permis le développement en France du contentieux de l’internement psychiatrique puisque les dossiers d’internements sont devenus accessibles alors qu’auparavant ils ne l’étaient pas. Néanmoins ce n’est que tardivement que cette obligation de notification trouve sa traduction dans la jurisprudence. Au plan indemnitaire, la juridiction civile de Paris a ouvert sa jurisprudence en sanctionnant tout d’abord à deux reprises le défaut de notification par une condamnation de l’Etat à 80 000 F de dommages et intérêts (environ 12 000 €), le 9 mars 1992, dans une aff. A. B. n°26129/90, et dans une affaire C. P. n°23456/91, le 5 avril 1993. Ces deux affaires ont prêté lieu à des appels des services de l’Etat. La cour d’appel de Paris réduisit ultérieurement les montants accordés en première instance. Nous précisons qu’il s’agissait de placements d’office qui avaient été pris durant les dernières années d’exercice de la loi du 30 juin 1838. Depuis cette époque la juridiction civile sanctionne peu ou prou au plan indemnitaire le défaut de notification des mesures de contrainte psychiatrique, ce qui est un préalable à la sanction du défaut d’information des patients contraints sur leurs droits.

5°) En guise de conclusion :

  Je renvoie à mes conclusions précédentes développées plus précisément au long des points 1 à 3 de ce texte. Clairement, visiblement, les Barreaux à travers la France, les campus, les départements de droit universitaires, doivent consentir, désormais, des efforts de formation, en sorte qu’ on quitte une fois pour toutes le stade expérimental en la matière, et que les patients sous contrainte puissent, juridiquement, bénéficier d’une assistance juridique usuelle. Qu’ainsi donc ils cessent d’être considérés - que nous cessions d’être considérés - comme de seuls sous hommes ne valant même pas un accès au droit comparable à celui d’un migrant irrégulier en voie d’expulsion ou à celui d’un délinquant ou d’un criminel. Je vous signale que de nos jours encore, si vous parlez à un avocat pris au hasard du contentieux de l’internement psychiatrique et de sa jurisprudence, il y a un risque qu’il ne vous comprenne pas. Il faudrait évidemment qu’on sorte de cette impasse.

  Au plan statistique, la modalité psychiatrique de privation de liberté  est en passe de devenir, en France, la première modalité de privation de liberté.

  Que faisons-nous face à ce constat ?
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Au titre des références bibliographiques, je renvoie  à un traité déjà ancien mais qui reste très utile : Psychiatrie, droits de l’Homme et défense des usagers en Europe, de Philippe Bernardet, Thomaïs Douraki, et Corinne Vaillant, ERES 2002, collection : Etudes, recherches, Actions en santé mentale en Europe.

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C.R.P.A. (Cercle de Réflexion et de Proposition d’Actions sur la psychiatrie). Association régie par la loi du 1er juillet 1901.
14, rue des Tapisseries, 75017, Paris. Tel : 01 47 63 05 62.
Courriel : andre.bitton2@orange.fr / Site :  http://crpa.asso.fr 

-          PRESENTATION DU C.R.P.A.

  Le CR.P.A (Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie) a été fondé en décembre 2010 par d’anciens membres du Groupe Information Asiles (GIA), dont un ancien président du GIA ayant assuré ces fonctions une dizaine d’années, au vu d’une sclérose très conséquente de cette précédente association, rendant nécessaire la création d’une nouvelle ressource associative.

  Le C.R.P.A a pour objet :

-          De structurer et formaliser une réflexion visant la promotion d’actions et de pratiques en faveur des droits fondamentaux des personnes psychiatrisées.
-          De mener des actions d’information sur l’abus et l’arbitraire en psychiatrie, sur les luttes contre les pratiques de contraintes aux soins et de détournement répressif de la psychiatrie, sur la maltraitance psychiatrique. Ces actions pouvant revêtir la forme de publications, de colloques, et d’interventions diverses.
-          De conseiller et défendre des personnes victimes d’abus et d’arbitraire psychiatrique soit en préalable à un contentieux, soit dans le cadre de contentieux ; et d’aider au montage de dossiers de procédures sur ce terrain.
-          Le C.R.P.A. aide également les personnes qui le contactent à formaliser leurs plaintes et à rompre l’engrenage de la honte et de l’isolement qui vont de paire avec une psychiatrisation.

  Le C.R.P.A collecte et diffuse de l’information sur la question des droits fondamentaux des personnes psychiatrisées, aide ces personnes et leurs soutiens à contester leur psychiatrisation, ainsi que les avocats en préparant les dossiers et en indiquant des jurisprudences utiles issues du  militantisme, des pratiques et des connaissances de ses membres.

  Notre association ne reçoit aucune subvention, et n’a d’autres ressources que  les cotisations et les dons de ses membres. Elle est uniquement animée par des bénévoles.

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